L’artiste Kan fait partie de la talentueuse équipe des Da Mental Vaporz, collectif des plus influents du street art français. Entre pointillisme et art numérique, l’oeuvre de Kan est à l’image des autres productions des DMV : innovante et pertinente. Suite à une carrière de motion designer, l’artiste a su lier sa passion pour le graffiti à ses compétences en informatique. Il nous livre ainsi son pixel-art : un art urbain optique et hypnotique. Présent dans tous les grands évènements street art de ces dernières année (Mausolée, Lasco Project, Tour 13, Djerbahood), Kan n’a pas fini de faire parler de son street pointillisme.
Interview de KAN par STRIP ART
STRIP ART : Peux-tu nous raconter ton parcours ?
KAN : J’ai grandi dans un petit village du Sud de la France. Quand je suis arrivé au collège dans la ville voisine je me suis pris en pleine face les tags qui recouvraient ses murs. Ça a été un choc.
J’ai assez vite voulu faire partie de ce milieu underground. J’ai commencé à tagger entre 1990 et 1991, à l’âge de 13 ans. On parcourait la ville de long en large les soirs de weekend et on laissait nos noms sur les murs. Nous sommes passés petit a petit des tags aux grosses lettres en chrome et noir. Durant ces années j’ai rencontré celui qui avait tant retourné la ville à l’époque (Bom.K) et nous sommes devenus amis. C’est avec lui que nous allions former le collectif DMV bien des années plus tard.
Je n’ai pas fait d’école d’art mais j’ai eu la chance de visiter énormément de musées et autres fondations d’art grâce à mes parents qui nous ont toujours poussé à être curieux. Apres un Bac scientifique je suis parti en BTS Audiovisuel à Montpellier. J’ai toujours voulu créer des génériques de films. Depuis tout petit je trafiquais du code et des images sur les différents ordinateurs que j’ai eu. Sur les plus vieux d’entre eux je dessinais pixel par pixel des graffitis en deux couleurs. C’était le maximum que l’on pouvait faire avec la technologie de l’époque.
Bref, ce BTS m’a donné l’opportunité de venir régulièrement à Paris, où j’ai fini par m’installer en 2000 pour bosser dans une boite de graphisme. De fresques en fresques, puis de toiles en toiles, j’ai fait mon trou dans le milieu de l’art. Les rencontres amènent aux rencontres et l’histoire fait le reste.
KAN et ses sujets sociétaux pixélisés
STRIP ART : Comment es-tu passé de tes graffs à ton style d’aujourd’hui ? Pourquoi avoir choisi la pixelisation et pourquoi l’appliquer principalement aux portraits ?
KAN : Après toutes ces années à écrire mon nom je commençais à tourner en rond. Nous peignions souvent dans des terrains vagues ou des usines désaffectées. J’ai eu envie d’apporter l’art des musées dans ces lieux à l’abandon. J’aimais l’idée de ce contraste. Comme je ne dessinais pas très bien, je cherchais une technique qui me permettrait de reproduire ces oeuvres autrement. Le pixel a alors été une évidence.
J’ai commencé par L’origine du monde de Courbet, en pixels carrés (à l’aide d’un pochoir) et cette fresque de 4m par 3 m’a pris sept jours. Je me suis dit qu’il fallait une technique plus efficace. J’ai alors développé cette technique de points. Des points de bombes de peintures plus ou moins épais positionnés sur une grille régulière (à la façon des pixels).
J’ai donc mélangé ces deux techniques de reproduction, le pixel et la trame d’impression, pour reproduire des oeuvres d’art. Quand je me suis mis à peindre des toiles plus tard j’ai peaufiné cette technique pour arrivé à mon pointillisme actuel. Un mélange de trame d’impression posé sur une grille virtuelle façon pixel. Je suis passé petit à petit du noir et blanc à la couleur.
Je travaille aujourd’hui avec une base de 11 couleurs différentes qui correspondent à la gamme de l’encre GROG, destinée à la base aux taggers. J’ai choisi de peindre des portraits car je suis fasciné par les gens. Ces derniers m’inspirent, leur histoire, leur combat…
STRIP ART : Comment mets-tu en oeuvre ce pointillisme ?
KAN : Je bosse énormément sur ordinateur. Quasiment toute la création se fait en numérique. Je pense vraiment mes toiles en pixels avant de les transformer en trame. Je me base sur des photos existantes et les trafique dans tout les sens pour en extraire ce qui m’intéresse. Je vais prendre un bout de photo par ci et un autre par là. Assembler le tout, sur un fond que je vais saturer de couleurs. C’est un mélange de photo-montage à l’ancienne et une couche de dessin pixel par pixel.
Ensuite vient la phase de transcription de cette image numérique sur toile. Je pose point après point sur la toile en suivant une grille (invisible). Je passe couche après couche comme un sérigraphe peut le faire. Je peins des couleurs claires aux foncées pour finir par la couche de noir.
STRIP ART : Quels sont tes sujets de prédilections ? Considères-tu ton art comme revendicateur ou simplement esthétique ?
KAN : Je fais aujourd’hui tout un travail sur les émeutes. Je me suis pris une claque lors du printemps arabe. Ça m’a beaucoup fait réfléchir sur la révolte. Je traite donc ce sujet qui m’obsède.
« Il y a évidemment un coté revendicateur dans mon art. Je pense que tout art est revendicateur. Il suffit de savoir le décoder. »
J’ai aussi une série que j’ai fait en collaboration avec les photographes Nicolas Giquel et Franck Lebreton sur les gangs de Los Angeles. Ils se sont immergés pendant des années dans le milieu et ont sorti un livre sur le sujet. Je suis assez fier d’avoir pu collaborer avec eux.
Une autre partie de mon travail est lui un peu plus “juste” esthétique: ma série consacrée aux pinups… Mais qui n’aiment pas les pinup ?
Graffiti et Da Mental Vaporz
STRIP ART : Quelles rencontres ou découvertes au cours de ton parcours ont fait évoluer ton style et ta manière de voir le graffiti ?
KAN : Ma rencontre avec Bom.k a été déterminante. En tant que gamin qui ne faisait que tagger j’ai découvert que l’on pouvait créer des fresques évoluées et remplies de messages.
Mon style a aussi évolué en même temps que le mouvement Graffiti. Quand j’ai commencé les codes du graffiti étaient figés. Il fallait absolument faire du Graffiti a la New-yorkaise. Des lettres d’un certains style avec des effets spécifiques. C’était sympa de découvrir tout ça, mais c’était un peu restreint.
Petit à petit le graffiti s’est démocratisé et a évolué vers des styles de plus en plus diversifié. De nouveaux pays produisaient des artistes avec leur propre culture et style. Aujourd’hui il y a autant de styles que d’artistes. Evidemment Internet a joué un grand rôle dans cette diversification.
STRIP ART : Continues-tu toujours le vandal ?
KAN : « J’ai 40 ans, mal au dos, fatigué, alors le vandal ce n’est plus pour moi. »
Faut savoir laisser aux plus jeunes la place pour s’exprimer à leur tour. Je suis toujours très intéressé par le milieu, je ne peux pas voyager et ne pas regarder chaque tag de chaque rue. C’est une maladie.
STRIP ART : Quel rapport entretiens-tu avec les galeries ?
KAN : Je pense avoir un bon rapport avec les galeristes. Il faut juste savoir ce que l’on veut et où l’on va. J’ai choisit de vivre de mon art et je suis conscient de ce que ça implique.
STRIP ART : Tu es arrivé dans le DMV en 2000, peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?
KAN : Je suis arrivé en 2000 à Paris, à la même époque nous avons créé DMV avec Bom.k et Iso. Nous peignions de grandes fresques de plus en plus évoluées. Nous participions à différents festivals Graffiti, et c’est lors de ces derniers que les connexions avec les autres membres du collectif ce sont faites.
Nous avons intégré Jaw et Gris1 après un festival ubuesque à Charleroi en Belgique en 2004. Puis dans la foulée, toujours en 2004, Brusk nous a rejoint après le festival Funky Chicken de Montluçon. Ensuite c’est un peu plus freestyle quand Dran, Blo, Sowat & Lek intègrent le collectif. Nous sommes une dizaine aujourd’hui.
STRIP ART : Penses-tu qu’il est important aujourd’hui pour un graffeur de faire partie d’une communauté/un collectif ? Qu’est ce que cela t’a apporté ?
KAN : Je ne sais pas si c’est important mais personnellement ça m’a apporté énormément.
« Je viens d’une époque ou le graffiti était synonyme de Peace, Unity, having fun ! »
La culture Zulu où chacun faisait avancer un grand tout. Nous passions du temps ensemble à créer. Tous autour d’une même idée, chacun avec son propre style et sa propre culture, mais tous dans la même direction. Le collectif m’a apporté la notion de compromis, d’écoute de l’autre. Je suis conscient que ça ne se passe pas toujours comme ça dans les collectifs, et je pense être chanceux d’avoir pu vivre tout ces moments avec les DMV.
Peintre et graphiste
STRIP ART : Continues-tu toujours ton métier de motion designer ? Tu fais régulièrement des «short film» sur le travail de tes amis artistes, as-tu déjà envisagé un projet vidéo d’une plus grand envergure ?
KAN : Depuis deux ans je ne suis plus que peintre. J’ai mis de coté le motion design. J’essaie de me consacrer à ma peinture. En effet, le motion design est aussi une passion mais on ne peut pas se consacrer pleinement à deux passions.
J’étais un peu frustré à l’époque où j’étais graphiste car je n’avais jamais assez de temps à consacrer à mes toiles. Je ne dis pas que je ne ferais plus rien de mon savoir-faire de motion-designer mais pour l’instant tout est mis en vielle.
STRIP ART : Quels sont tes projets pour cette année ?
KAN : Cette année j’ai envie de ressortir un peu plus dans la rue. J’ai passé ces deux dernières années dans mon atelier a produire pour les galeries, et je suis un peu frustré de ne pas peindre plus dehors.
« La rue c’est comme une drogue (ou le chocolat), on y revient toujours. »
J’ai un Solo show prévu en fin d’année à la Galerie 42b à Paris, ainsi que quelques foires d’art.
Breaking trough Da Mental Vaporz:
Catégorie(s) : Street Art / Art Urbain
Question : c’est quoi l’interet de compter les points ?