Sky’s the limit, les peintres de l’extrême : documentaire sur le néo-muralisme

19 janvier, 2017

Sky’s the limit, les peintres de l’extrême est le nouveau documentaire de Jérôme Thomas, consacré au nouveau muralisme – du street art monumentale. Durant deux ans, le réalisateur a suivi une quinzaine d’artistes (dont Inti, Borondo, Pantonio, MadC, Katre, Jace, Marko93, Astro, Kouka, Stew, Btoy, C215, Vhils, Seth) au coeur de réalisations de plus de 30m de hauteur. Immersion assurée !

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L’utilisation du terme néo-muralisme permet de s’éloigner de l’ancestral muralisme, mode d’expression de l’histoire politique du XXème siècle au Mexique. Au court de ces dernières années les fresques monumentales ont peu a peu fleuri nos immeubles. A mi-chemin entre le street art et la performance, ce courant mérite d’être décrypté.

Inti

Voilà la grande entreprise dans laquelle s’est lancé Jérôme Thomas : examiner le processus créatif et la portée de ces peintures verticales. En attendant de voir ces 52 minutes sur nos écrans, Strip Art vous emmène à la découverte de cet enfant du hip-hop, vidéaste mais aussi membre de collectifs de graff et beat maker histoire d’en savoir un peu plus sur les coulisses de ce documentaire très prometteur.

Rencontre.

Strip Art : Peux-tu nous décrire ton parcours en quelques mots…

Jérôme Thomas : Je viens du tag. J’ai monté en 1991/1992 un groupe qui s’appelait STS et nous étions trois. La personne qui s’en est le plus sortie c’est Katre. On a ensuite fait un parcours collectif, le groupe de tag est devenu un collectif de beat maker et nous avons monté des studios à Montreuil. On enregistrait déjà beaucoup de rap à l’époque dans des home-studios. Home Studio (The Musical Revolution) étant le premier documentaire que j’ai auto-produit entre 1999 et 2003.

Couverture du DVD du documentaire « Home Studio, The musical revolution », disponible dans son intégralité sur Vimeo

Ensuite, je suis venu à la vidéo institutionnelle. J’ai toujours filmé ce que faisait mes potes mais pas de manière systématique hélas. J’ai assez peu d’archives par rapport à ce que j’aurais pu accumuler, je suis un peu déçu de ne pas avoir filmé les années 1990-2000. Nous avons toujours l’impression que le présent n’est pas important et on se demande pourquoi on le documenterait. Dès qu’on travaille sur des archives historiques pour documenter un mouvement comme le muralisme on se rend compte de l’importance de documenter et que ces documents sont inestimables.

Extrait du documentaire « Home Studio »

J’ai fait cinq documentaires pour la télé. Mon premier documentaire urbain : Traits Portraits, a été fait dans l’urgence, en deux mois, avec Marko, Altas, Katre, des slameurs, des rappeurs… C’était un 52 minutes qui croisait des disciplines urbaines. Il y avait cette liaison avec la poésie urbaine et le rap qui était cool, avec ce souffle qu’est le trait.

Documentaire « Traits Portraits » disponible sur Vimeo

Extrait du documentaire « Traits Portraits »

Strip Art : Tes thèmes de prédilections sont souvent liés aux cultures urbaines…

Jérôme Thomas : Oui et certaines fois je me dis qu’à quarante ans c’est un peu pathétique… Mais je ne m’intéresse pas qu’à ça, j’ai envie de travailler un sujet sociologique prochainement, sur la non reproduction sociale. Ce choix c’est parce que je viens de la culture hip-hop, il ne faut jamais l’oublier car elle a révolutionné le monde, tant au niveau de la production musicale que de la danse et de l’art. Ça a changé les standards, les perspectives, pour des gens qui n’avaient pas les moyens d’exercer un art. C’est quelque chose qui me fait vibrer je pense tout simplement.

Extrait du documentaire « Home Studio »

« I’m a man », Atlas, Extrait de « Traits Portraits »

Quand ça fait 25 ans que nous croisons des gens, qu’ils évoluent et que nous suivons leur travail, c’est passionnant. Je suis heureux de retrouver Atlas 10 ans après, de suivre Katre, d’avoir des nouvelles de Marko, de savoir que Nassyo est toujours là, et que les mecs grimpent. Ce sont des parcours tellement difficiles que si je peux documenter, même les mettre en valeur, c’est mon grand kiff. Au moins on pourra dire que nous avons essayé de documenter certaines choses.

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Nassyo

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Marko93 au début de son light painting, extrait du documentaire « Traits Portraits »

Light painting, Marko93 , extrait du documentaire « Traits Portraits »

Strip Art : Quelles ont été tes motivations pour réaliser un documentaire sur le néo muralisme ?

Jérôme Thomas : Les motivations ont été de plusieurs ordres. La première était de trouver un sujet sur lequel je pouvais écrire, m’ancrer et me réaliser. Et puis j’ai voulu faire un grand documentaire. Voyant l’importance du sujet et le développement du phénomène par son ampleur internationale, ça m’a mis la pression. Je me suis dit, pour que le documentaire soit à la hauteur de ce qui est en train de naître sur les façades des immeubles du monde entier, il faut que je fasse quelque chose qui fracasse. Il faut que dans 10 ans on puisse le regarder et se dire «tiens c’est cool». Que la pierre à l’édifice soit bien taillée (rire). Métaphore très Moche !

Pantonio

Strip Art : Une envie de longue date ou une opportunité ?

Jérôme Thomas : Ça a été les deux. Une envie de longue date de parler du graffiti, mais autrement. Il y a d’excellents documentaires comme Writers de Aurèle (Writers, 20 ans de graffiti à Paris de Marc-Aurèle Vacchione, 2004 Ndlr) que je tiens à citer parce que c’est lui qui m’a donné l’espoir qu’on pouvait, en tant qu’indépendant, faire du documentaire. Ça paraît évident maintenant mais en l’an 2000 c’était absolument pas évident, ça coûtait très cher, c’était impossible.

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« Writers, 20 ans de graffiti à Paris » de Marc-Aurèle Vacchione, 2004, l’intégrale du film sur Youtube

Extrait du documentaire « Writers »

Il y a des gens comme Aurèle qui m’ont vraiment stupéfait par la qualité de leur travail. Je me suis dit on peut faire un documentaire soi-même ! Mon dieu quelle liberté, quelle chance ! Ça m’a donné la motiv’. Comme quand tu vois un mec de ton quartier réussir alors qu’autour de toi il y a quelques médiocres, tu te dis qu’il y’a un phare dans l’horizon !

Après une opportunité, oui, ça a été une opportunité parce que Katre m’a appelé la veille de venir travailler sur la Tour 13 et à partir de là j’ai pas lâché.

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Katre, Façade de la Tour13, 2014 © katre.fr

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Katre, intérieur de la Tour13, 2014 © katre.fr

Strip Art : Quelles ont été les difficultés pour toi lors du tournage ?

Jérôme Thomas : Les difficultés étaient les mêmes que pour les peintres. La difficulté c’est qu’on était tributaire du temps, l’autre difficulté c’était le recul. Pas de recul pour eux pour voir ce qu’ils font mais pas de recul non plus pour moi pour tourner. Une autre difficulté c’est que ce sont des marathons. On ne suit pas un graffiti sur une après-midi, des fois ça dure plus d’une dizaine de jours. Et le fait aussi d’être tout seul et de vouloir couvrir tous les points de vue, c’est compliqué. Il faut courir à gauche, à droite. Mais encore une fois, ça relève du défi donc c’est un peu exaltant d’être dans ce processus.

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Jace

Strip Art : Pourquoi, d’après toi, beaucoup de graffeurs tendent vers le néo muralisme ?

Jérôme Thomas : C’est une bonne question et pour une fois elle n’est pas posée de manière orientée, ça fait plaisir. Le graffiti n’a en fait pas de limite. Il y a des gens qui aiment le limiter à un cadre illégal, le cloisonné, alors que par essence le graffiti est quelque chose de libre.

Astro

Les gardiens du temple tremblent un peu en ce moment quand ils voient des graffeurs devenir des muralistes le temps d’une expérience. Ce ne sont pas des muralistes au sens historique du terme, il n’y a pas d’engagement politique, ils ne sont pas le reflet de grandes idéologies sociales. Mais ils attaquent des surfaces que les muralistes ont attaqué il y a 70 ans au Mexique et ça c’est extraordinaire.

La fresque

« Histoire du Mexique de la Conquête à 1930 », Diego Rivera, 450m2, Palacio Nacional , Mexique, oeuvre peinte entre 1929 et 1945

Never Crew

L’une des raisons essentielles, c’est la recherche de notoriété mais on ne peut pas résumer leur démarche à ça. Il y a aussi une volonté de dépassement de soi et de relever le défi. Il y a un plaisir de continuer ce que le graff a toujours fait, «mettre de la couleur dans la rue» comme dit Katre. Mais là tu ne le fais plus pour une communauté, tu le fais pour les habitants, ce sont les habitants qui choisissent.

MadC

Jace

J’ai shooté plusieurs types d’interventions et de contextes politiques mais en gros une fois sur deux ce sont les habitants qui choisissent les motifs et une fois sur deux ce sont des graff libres, on va dire des «peintures» pour ne pas agacer les graffeurs intégristes de mes deux. (rire)

Ce sont des sportifs de haut niveau, sportifs et artistes de haut niveau. Il n’y en a très peu pour moi qui sont à la hauteur de ces surfaces.

Strip Art : Comment as- tu orienté et construit ton film ?

Jérôme Thomas : C’est un documentaire réel, il n’y a pas de mise en scène. J’aborde les points de vue de tous les acteurs du mouvement. Il y a eu beaucoup d’interviews, énormément d’images… C’est difficile de rendre la peinture vivante.

Stew

J’ai construit des thèmes. Il y a une partie historique, une partie «est-ce une évolution du graffiti», il y a une partie sur le financement, puis une sur la gentrification, l’instrumentalisation du mouvement, peut-il se dépasser lui-même et comment va t-il évoluer. Le film est construit de manière thématique, sans le nom des chapitres car ça faisait trop scolaire.

Strip Art : Quel message cherches-tu à véhiculer ?

Jérôme Thomas : Waouh… Compliqué ! Je pense que le message c’est l’ouverture de la peinture au plus grand nombre, tout en respectant le travail de l’artiste. C’est l’art dans la ville fait par une communauté d’artistes qui a dépassé son propre parcours. J’ai vraiment voulu signifier cette performance, cette envie de faire pour l’autre, pour le plus grand nombre et de voir quelles étaient les effets de cette transformation locale à une plus grande échelle, celle d’un quartier ou d’une ville (pour Vitry par exemple), et quelles en étaient les répercussions positives.

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Nunca, Vitry-sur-Seine, ©Parisladouce

Après, tout n’est pas blanc ou noir. Mais plus ça va, plus je me dis qu’il faut absolument rester positif parce que dès que tu stipules des points négatifs, les gens se régalent de ne parler que de ça. En ce moment il y a des mecs qui ne parlent que du financement. Certains journalistes ont fait des raccourcis d’interviews, du coup tout le monde s’excite sur le fait que les artistes ne soient pas payés, alors que c’est faux ! J’essaye de livrer quelques vérités sur ce phénomène, sans compromission.

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Strip Art : Comment as tu réussi à suivre tous ces artistes ?

Jérôme Thomas : J’ai attendu tous les artistes, sauf Katre, qui m’est tombé dessus. J’ai attendu que les murs se fassent. C’est compliqué parce qu’il faut être dans les petits papiers des projets et je ne le suis pas. C’est vraiment de personne à personne, ça marche que comme ça.

Seth

J’ai suivi 12 artistes, et toutes les images du monde entier je les ai récupéré [de mon entourage], pour construire un documentaire international, et donner plus d’envergure à tout ça. J’ai la chance extraordinaire d’avoir des gens autour de moi qui partaient en voyage et je leur disais «s’il te plaît, si tu vas dans cette ville, vas à tel endroit». Il y a aussi beaucoup de festivals qui m’ont soutenu et qui se battent pour changer le visage de leur ville, c’est cool. Ça a créé une sorte de documentaire collaboratif au niveau de la matière première qui est extraordinaire, c’est magique. C’est pas simple mais c’est vraiment magique.

documentaire sky's the limit

El Seed

Strip Art : Avais-tu déjà des idées de personnes à contacter?

Jérôme Thomas : Très peu en fait, le mouvement étant assez jeune et peu documenté. J’attendais que ça vienne. Et à Paris il ne se passe pas grand chose, à part dans le 13ème. Il y a des gens qui ont déclenché quand même des choses comme Mehdi Ben Cheikh (directeur de la galerie Itinérance Ndlr) en collaboration avec le maire du 13ème, Jérôme Coumet ; il y a des choses qui se font dans le 20e avec Art Azoï par exemple, il y a la galerie Mathgoth aussi, mais enfin c’est très faible. Paris a deux de tension au niveau du muralisme. C’est compliqué parce qu’au niveau de l’ architecture c’est pas tout le temps possible et au niveau politique c’est un casse-tête. Vive la banlieue pour ça.

Sainer – Etam Cru

Strip Art : À quand sa sortie ?

Jérôme Thomas : Hélas je ne sais pas. Il est sorti pour les contributeurs. Pour l’instant je fais le tour des festivals dans le monde entier, on fait des diffusions en France et à l’international. Ma fois il va bien finir par arriver quelque chose à ce documentaire ! Qui est je pense qualitatif…

Teaser officiel du documentaire : SKY S THE LIMIT, les peintres de l’extrême

N’hésitez pas à partager le teaser, et rassurez-vous, on entendra vite parler de la suite !

Crédit photo : les photos aux bordures noires ont été tirées des vidéos officielles du documentaire

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– Doriane Coelho –

19 janvier, 2017

Catégorie(s) : Actu Art

2 réponses

  1. Ramon CIURET dit :

    Super Jérôme !
    Continue comme ça !

  2. plazy dit :

    J aime beaucoup votre blog qui m apporte des réponses sur le street art qui m interesse . J admire la démarche de certains artistes et je suis l évolution de l art urbain , j aime découvrir de nouvelles oeuvres
    mon blog photospessac.overblog.com

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