Qui, comme l’artiste Stik, n’a jamais dessiné un bonhomme avec cinq traits et un cercle ? Cette silhouette nous est très familière et est entrée dans le répertoire des figures emblématiques du street art figuratif.
On pourrait les appeler des sticks (bâtons en anglais). C’est d’ailleurs devenu le blaze de son auteur londonien qui, à l’image de Banksy réussi à garder le mystère sur une grande partie de sa vie, en passant par son identité civile. Qu’importe, on en sait assez pour comprendre son art et adhérer à son univers.
Né a Londres dans le milieu des années 80, Stik est un marginal. Il a toujours dessiné, dit-il, sans jamais avoir suivi de formation académique. Il développe sa technique dans la rue, au contact d’artistes comme Doze, Roa, Run and Zomby. Mais c’est surtout de son expérience de vie qu’il tient sa particularité. Pendant dix ans sans domicile fixe (pour des raisons inconnues), il a vécu les violences de la rue, l’isolation, la solitude et le jugement d’autrui.
En 2009 sa vie prend un autre tournant grâce à un centre d’aide au relogement qui l’installe à l’Hôtel St Mungo à Hackney. Bien que dès 2002 Stik prenne peu à peu place dans le paysage urbain de Londres, cette réinsertion sociale de 2009 signe le début d’une période de grande créativité.
Comme un exutoire à sa douloureuse expérience, il choisi d’utiliser la rue comme un moyen de s’émanciper et de s’épanouir en laissant derrière lui ses démons. Moteur de sa résurrection, le graffiti est alors pour lui la suite logique à son chemin de vie.
Stik n’est pas un artiste de la gentrification. Malgré une popularité aujourd’hui incontestable et qui l’intimide (il compte parmi ses fans des personnes tel qu’Elthon John ou encore Bono), il reste humble et en tire surtout une richesse humaine et spirituelle.
C’est pourquoi il reverse volontiers l’argent récolté par la vente de ses oeuvres à des associations caritatives. Son but n’est pas lucratif mais vital. L’amour pour l’art l’a aidé à sortir des méandres de la rue dont il garde les stigmates. Son oeuvre d’apparence enfantine apparait alors beaucoup moins ingénue.
Il utilise ce semblant de naïveté pour parler au plus grand nombre et rattraper par le col le snobisme de l’art en lui rappelant que nul n’est supérieur, aussi minimalistes que certaines oeuvres puissent être. Son art, excessivement épuré et fait d’à-plats et de contours marqués avec une palette de couleurs vives, le plus souvent primaires, donne à son message un poids d’autant plus remarquable sur fond de mélancolie évidente.
« De la disparition des œuvres d’art publiques aux coupures dans le secteur public, notre culture est déconstruite brique par brique. C’est à nous de défendre la culture face à ceux qui ne comprennent que l’argent. » Légende de la photo par Stik sur stik.org
Un street art social
Stik représente les marginaux, les minorités en manque de reconnaissance. Il est comme le porte parole silencieux d’une partie de la société délaissée. Il est investi dans les causes sociales comme la Pride Parade à Londres, pour n’en citer qu’une. Il collabore régulièrement avec des organismes de bienfaisance, des hôpitaux ou des associations pour sans abris.
Sa communauté de sticks clament sans voix ni bouche des messages de solidarité, d’écologie et de paix.
« En 1882, Union Square était le site de la première fête du Travail. Les huit sticks entourant le château d’eau représentent la victoire de la journée de travail de huit heures. » Légende de la photo ci-dessous par Stik sur stik.org
Il défend une romantique idéologie du street art. Pour lui les murs sont des supports de discussions et d’échanges et non de revendications ou de vandalisme. Les murs offrent une liberté aux artistes et leur permettent d’être en contact direct avec les individus.
En somme un réseau social grandeur nature, puissant et humain. Rien, donc, de criminel là-dedans. «La scène du street art, c’est le dialogue. C’est un grand forum de discussion, avec des feedback. D’ailleurs, la base du réseau social, c’est bien d’écrire sur son mur ! » (propos recueilli par Stencil Revolution). Stik calque ainsi nos habitudes virtuelles dans notre réalité.
Son sanctuaire de personnages est à son image ; modeste, sans préjugé, d’avantage présent pour observer plus que pour s’imposer. Il est contre la société du «regarde-moi» et cherche, avec ses bonshommes, à instaurer de nouvelles lois. « Les graffs ne sont pas là pour casser les lois mais pour les changer » explique-il.
L’oeuvre ci-dessous a été peinte en réponse à une surveillance vidéo considérablement accrue dans la région de Hackney. L’argent de la vente fut reversé à « Groundwork », un organisme de bienfaisance local pour les jeunes.
« La Beauté est dans le mouvement. C’est cela dont il est question. La beauté est dans la façon dont quelqu’un déplace son corps. Vous pouvez dire beaucoup de choses sur quelqu’un juste par la façon dont il bouge son dos ou ses yeux. Il n’y a pas besoin de beaucoup de détail. Vous pouvez le voir à travers la rue. C’est ce que j’essaye de capturer dans mon travail – l’identification directe » Stik, pour le Little London Observationist, le 6 décembre 2009.
Peu friand des galeries, il s’attache d’avantage à décorer les murs du monde entier, de New York à Berlin. Il a un attachement particulier pour Londres, où il ne cesse de recouvrir de nouveaux murs, spécialement à Shoreditch. Son dernier solo show date de 2012. Intitulé Walk, il eut lieu à la Imitate Modern Gallery.
La même année, il travaille avec la Dulwich Picture Gallery pour réaliser une série d’oeuvres hors-les-murs. L’objectif était que Stik ré-interprète certains chefs d’oeuvres classiques conservés dans la collection permanent de la Dulwich Gallery.
Stik est l’un des rares artistes à venir régulièrement visiter ses fresques… pour les nettoyer. Il prétend même passer plus de temps à les arranger qu’à les réaliser. Ses personnages sont comme une famille imaginaire à laquelle il s’est attaché, et qu’il n’est pas prêt d’abandonner !
En 2011 Stik a été invité en Pologne par le centre local d’art Laznia pour réaliser une oeuvre murale communautaire avec les enfants. Intitulée «To Skomplikowane» (‘It’s Complicated’), des morceaux de cette oeuvre ont disparu en 2014. Il semblerait qu’ils aient été retrouvé à la Galerie Lamberty à Londres.
Personne n’avait été prévenu de cette procédure, ni les enfants du centre ni même l’artiste. Un réel pillage mercantile. Une pétition a alors été lancé pour soutenir le centre Laznia et combattre les intérêts commerciaux que la galerie pourrait faire sur le dos de ce projet communautaire. Stik est très investit dans cette chasse au pillage et partage tous les jours la pétition présente sur change.org sur les réseaux sociaux.
Un autre exemple de l’investissement de Stik à l’égard de l’art communautaire est son aide apportée au Centre social Magpie à Bristol. Cet espace, accueillant ateliers et événements artistiques divers, a en effet été expulsé de son lieu d’origine où Stik y avait peint un mur. Pour sa réhabilitation dans un nouveau lieu, le centre avait besoin de fonds conséquents. Stik a alors confié les 35 000£ récoltés lors de la vente de cette oeuvre de rue, au centre en question, pour son nouvel emménagement. Il a de plus expliqué au séminaire IAL au Pognon Hatfield qu’il n’authentifierait une oeuvre de rue qu’à l’unique condition que l’argent récolté lors de sa vente serve à l’organisation pour laquelle elle a été créé (petit clin d’oeil au scandale de Laznia).
Stik a publié un livre avec Century Penguin/Random House, à l’effigie des ses personnages. La boutique en ligne est par ICI.
STIK – London Street Artist
– Doriane Coelho –
Catégorie(s) : Street Art / Art Urbain