Mademoiselle Maurice est une artiste plasticienne originaire de Haute-Savoie. Après des études en architecture à Lyon, puis des passages à Genève et Marseille, Mademoiselle Maurice part vivre un an au pays du Soleil Levant. En 2011 la tragédie de Fukushima s’abat sur le Japon, et la pousse à quitter sa vie à Tokyo.
De retour sur ses terres natales, elle utilise cette désastreuse expérience pour developper un art plein de joie, d’espoir et de messages écologiques autour de l’origami. Fil et papier deviennent dés lors les composants essentiels de ses oeuvres.
On a voulu en savoir plus sur le parcours surprenant de ce «rayon de soleil» artistique.
Interview avec Mademoiselle Maurice
STRIP ART : Pourquoi avoir choisi de partir au Japon ? Qu’y cherchiez-vous en particulier ? Croyez-vous que si Fukushima ne vous avait pas chassé vous y seriez toujours ?
MADEMOISELLE MAURICE : Le Japon pour l’Asie, pour la découverte, parce qu’il y a le visa Vacances/Travail, l’apprentissage d’une nouvelle écriture, et pour la confrontation de la tradition et de la modernité.
« Je n’y recherchais rien de particulier, forcément des émotions, de la sensibilité et de la beauté, mais autant que l’on peut la trouver dans tous les pays… »
Et sans parler de Fukushima, je serais forcément rentrée à un moment où à un autre car impossible pour moi pour le moment d’être trop loin de ma famille et de mes amis….
STRIP ART : Vos oeuvres en origami s’inspirent de la légende des 1000 grues et de l’histoire de Sadako, pourriez-vous nous l’expliquer avec vos mots et émotions artistiques ?
MADEMOISELLE MAURICE : Cette légende et l’histoire de Sadako sont une « base » au Japon, empreint d’histoire, d’amour, de partage, de paix et de rêve malgré la triste histoire de cette petite fille que les radiations ont tué.
« Il s’agissait avant tout de dire «NON» au nucléaire. »
Mais aussi et surtout de faire revivre encore une fois cette légende des 1000 grues qui m’a mis plein de pétillement dans les yeux lorsque j’ai aperçu pour la première fois les guirlandes de grues multicolores dans les temples.
STRIP ART : Et alors la légende s’est-elle avérée vraie ? Vos voeux se réalisent-ils ?
MADEMOISELLE MAURICE : Je n’ai jamais voulu réaliser de voeux personnels avec cette légende. Et malgré les dizaines de milliers d’origami que j’ai déjà dû plier (malheureusement je ne plie pas de grues), les voeux que j’aurais pu faire sont encore loin de se réaliser.
Ils concerneraient le futur de notre monde: la réduction des inégalités, la protection de notre planète, ainsi que le « bonheur et la paix » pour tous… Utopie ? Étape ? Balbutiements de l’être humain ? Manque de spiritualité ? Le monde et ses habitants sont encore pleins de secrets….
STRIP ART : Etiez-vous sensible à l’origami avant de découvrir cette légende ?
MADEMOISELLE MAURICE : Etonnamment, pas vraiment, en dehors de la fameuse cocotte en papier à laquelle on jouait dans les cours de récré (dis un chiffre, choisis une couleur etc…)
« Avant le Japon, l’origami me paraissait presque inaccessible, lointain, compliqué. »
Et puis lorsqu’à mon arrivée là-bas, dans une sorte d’auberge de jeunesse, j’ai pu découvrir des diagrammes de pliages avec des indications japonaises, cela m’a subjugué.
STRIP ART : Etes-vous retournée au Japon depuis ?
MADEMOISELLE MAURICE : Juste une fois, dans le cadre d’une installation avec et pour Issey Miyaké.
STRIP ART : Des envies de vivre dans un autre pays ?
MADEMOISELLE MAURICE : Oui, peut-être… Dans un pays de soleil, qui s’ornerait de couleurs de toute part. L’inde, ou encore l’Amérique du sud… Mais je ne connais pas suffisamment bien ni l’un ni l’autre pour savoir où. Sinon, la Californie ou côte-ouest, pour y avoir passé quelques mois déjà.
Partage et joie de vivre [son art]
STRIP ART : Quand est-arrivée l’envie de travailler avec des couleurs aussi pimpantes dans votre processus créatif ?
MADEMOISELLE MAURICE : Finalement, depuis toujours. L’arc-en-ciel, depuis la maternelle a été comme un systématisme dans tous mes gribouillages et dessins. Soleil, maison, fleurs, certes, mais avec un arc-en-ciel. Toujours.
« J’avais une obsession aussi d’organiser chromatiquement les crayons de couleurs. »
Et puis j’avais un peu grandit. Mes premières peintures reprenaient ces couleurs. Et je me suis dit « STOP », t’es plus une gamine, faut être plus mature. Alors je m’interdisais de les utiliser. Lorsque j’ai collé les premiers origamis en monochrome blanc, ou vert, ou rose, ça ne me plaisait pas vraiment. « Chassez le naturel, il revient au galop ».
« Je dois avouer que je n’ai jamais trop aimé les couleurs fades. C’est comme ça… les goûts et les couleurs… »
STRIP ART : Quelle est la différence symbolique, sentimentale ou d’approche entre votre travail de rue et celui en atelier ?
MADEMOISELLE MAURICE : La première, celle qui me tient le plus à coeur, c’est que le travail de rue s’offre à tous, à ciel ouvert. C’est le partage, l’échange, la créations pour tous, la surprise, et le contraste avec nos villes grises et parfois tristes, selon moi, car trop agressée par trop de pubs et d’enseignes. Mais l’exercice est intense, parfois fatiguant et très prenant.
En atelier, c’est le calme, la divagation, les nouvelles expérimentations. Il faut le dire aussi, le confort du lieu sec et les non-coup-de-soleil en été et les non-doigts-gelés en hiver (quoi que).
STRIP ART : L’art de rue est incontestablement éphémère, mais vos oeuvres le sont d’autant plus avec l’utilisation de papier en relief, comment vivez-vous ce rapport avec le temps et la pérennité de vos oeuvres ?
MADEMOISELLE MAURICE : Plutôt très bien jusqu’à présent. « Poussière nous retournerons à la poussière ».
« Je n’ai aucun problème avec le fait de défaire ce qui a été fait. Ça casse un peu l’égo ça fait du bien, ça rend humble. »
Comme ils disent au Japon: la beauté est éphémère.
Paradoxalement (j’adore les paradoxes), je réfléchis de plus en plus à des murs plus pérennes, faits de peinture et d’origami de métal (le prochain et premier bientôt à Sète au K-LIVE.. PRESSION, PRESSION ! ). Comme quoi… Mais bon, finalement, quelques heures, quelques jours ou 5/10 ans sur l’échelle de l’humanité, quelle différence ?
Donnez-moi un pistolet à fleur…
STRIP ART : Votre vie artistique est très liée à la vie associative, caritative et écologique (que ce soit dans la réalisation d’oeuvres, dans les dons…) pourquoi un tel choix ?
MADEMOISELLE MAURICE : J’essaie… apporter une pierre à l’édifice, faire au mieux.
Parce que je ne peux pas ne rien faire quand je vois ceux qui vont mal, qui sont tristes, ou quand je vois des injustices et de la destruction. Ensemble c’est mieux, parce que l’altruisme, la propagation du positif… Parce que j’aime le faire, parce que «OUI» la vie, l’humain et la nature sont beaux.
Parce que sinon à quoi bon ? (Autant en finir)
« Parce que les sourires et le partage font tellement plus de bien que l’agression et la radinerie. »
Et parce que l’argent il en faut, mais un peu, et que m’enrichir de ce point de vue là m’appauvrirait bien plus que de m’enrichir en essayant d’être généreuse. Avoir la conscience tranquille ? Je ne sais pas. Mais au final, tout cela n’est pas grand chose. Juste envie de se sentir utile, tant qu’à faire.
Et puis il faut l’avouer, plus le temps passe et plus je me rends compte que je viens d’une famille de travailleurs intensément fous mais qui m’ont tellement donné en temps, amour et simplicité que c’est un minimum. (Big up la maman, le padré et la mémé ! )
STRIP ART : Considérez-vous votre art comme engagé ? Quels sont vos motivations lorsque vous créez ?
MADEMOISELLE MAURICE : Oui, engagé et revendicatif.
« La motivation c’est de dire «OUI» au bon sens et à l’utilisation de nos cerveaux. »
De couper la tv, mais de regarder les replay d’Arte. D’inverser les rôles, de vouloir donner du positif. Transmettre, ne pas faire oublier la beauté à l’état pure et naturelle. De vouloir dire «stop» aux merdes à boire, à manger, à consommer (dont je me sens aussi parfois consommatrice).
De donner des « je t’aime » à ceux qu’on aime. De vouloir accepter et aimer les différences, de mettre en avant le travail manuel et de stimuler la passion.. Ça c’est une envie, mais de là à les réaliser… pfffff
STRIP ART : Avez-vous ressenti de la difficulté pour entrer dans le monde du street art en tant que femme ?
MADEMOISELLE MAURICE : Alors là j’ai envie de dire JOKER !
Ce statut de femme est pénible. La question ne serait même pas posé à un homme. D’où le «Maurice» d’ailleurs. Peu importe, homme ou femme, la création et c’est tout. Une paire de couilles est, chez l’un et chez l’autre, de diverses et complémentaires manières. Il ne s’agit pas d’ entrer dans un univers mais juste d’y aller point barre.
« Je ne pense pas que les mondes aient des portes qui lisent l’entre jambe. »
Faut se faire sois-même son chemin, qu’on soit grand, petit, gros, maigre, blanc, noir, homme, femme, avec lunettes ou chauve.
Un « demain » bien chargé
STRIP ART : Quels sont vos projets à venir ?
MADEMOISELLE MAURICE : Actuellement dans un I.M.E avec des ados touchant, bientôt au K-Live à Sète, puis au Mausa, la sortie de mon premier bouquin, un projet en Haute-Savoie, une résidence, la Colombie, une collab avec WWF/Tiger beer, une expo collective à La Réunion, et j’espère encore pleins de projets avec mon binôme Snez et notre EMES CREW et j’en passe…
Sans oublier le futur « solo show » en 2018 chez Mathgoth. Probablement sur la thématique de la liberté et du bonheur.
Source et crédits photographiques : Mademoiselle Maurice // mademoisellemaurice.com
Crédit vidéo : Jean Duval
Mademoiselle Maurice Origami Street Art:
– Doriane Coelho –
Catégorie(s) : Street Art / Art Urbain