L’histoire de l’humanité pourrait être traduite par les oeuvres poétiques de José Parlá. La légèreté de ses lignes calligraphiées, superposées frénétiquement sur une surface malmenée, rappelle les douleurs et joies qu’une vie peut traverser. En profond humaniste, José Parlá nous offre avec son art un échantillon d’ADN d’une génération torturée.
Empreintes cubaines dans une Amérique divisée
José Parlá nait en 1973 à Miami. Issu de parents immigrés, il grandit dans une maison cubaine au son du hip-hop. La jeunesse de l’artiste n’a pas été des plus simples. Dans le Miami des années 80, les ségrégations raciales et violences sociales coulaient à flot. Drogue et gangs faisaient rage dans le quartier où il vivait. Les cours de récréations étaient alors d’avantage terrains de règlements de compte que de légèretés enfantines.
Parlá préférait alors, déjà petit, sécher les cours pour vivre sa liberté de peintres des rues. Avide d’expériences, il pousse très tôt les portes de l’exploration urbaine avec ses amis graffeurs.
«Nous étions des artistes qui cherchions un sens dans les ruines de la société.»
Témoin d’une société pleine d’injustice et de noirceur, la peinture de l’artiste a toujours voulu retranscrire cette réalité.
Élevé dans un univers de pauvreté, ses parents frôlent la séparation quand, à 16 ans, José Parlá est sur le point de devenir SDF. L’un de ses profs, alerté par son talent, l’aide a obtenir une bourse pour rentrer à l’université.
Une chance qu’il ne manque pas de saisir. « Ça a complètement changé ma vie». confit-il à Hugo Vitrani pour Mediapart. Il intègre alors le Savannah College of Art and Design puis The New World School of the Arts et démarre une carrière d’artiste.
De writer à painter
Parlá commence à peindre dans les année 80 sous le nom de Ease. Il intègre au fur et à mesure plusieurs crew avec son frère Faz. En 1991 il entre dans le crew des Inkheads.
« C’était un groupe qui se distinguait de ce que faisaient les autres writers. On investissait des lieux abandonnés que l’on transformait en galerie d’exposition. »
A la fin des années 90 il quitte la Floride pour emménager à New-York. Il s’impose alors inévitablement sur la scène artistique de Brooklyn, ce qui lui ouvre les portes de grandes capitales telles que Tokyo, Honk-Kong, Paris ou encore Londres.
De graffeur vandal il devient peu à peu peintre en atelier. Son style évolue et son nom aussi…
« Mon père s’appelait José Parlá. Quand il est mort tout changeait : la culture de la rue était moins underground et devenait populaire. »
Il choisit ainsi de mettre de côté Ease, plus proche de sa culture de writers. Comme une sorte de respect pour ce passé qu’il chérit tant et pour ses acolytes des débuts, il tourne une page sur ce blaze, au profit d’un nom en hommage à l’homme qui symbolise pour lui le changement. Il cherchait à ce moment là, au même titre que la société dans laquelle il vivait, à aller de l’avant et à faire évoluer sa peinture au rythme des bouleversements alentours.
Sa formation académique lui inculque la technique. Mais c’est au contact d’influences telles que Cy Twombly et Mimmo Rotella que sont style prend forme.
«Je faisais très bien les natures mortes et autres exercices classiques, mais je voulais amener dans mon travail sur toile ce que je faisais dans la rue.»
Il cherche alors a intégrer le langage et l’écriture sur toile, tout en le conjuguant avec son expérience de la ville et les émotions que cela suscite. La calligraphie abstraite pointe ainsi le bout de son nez.
Calligraphie sauvage et humaniste
A mi chemin entre l’expressionnisme teinté d’Histoire de George Matthieu et le chamanisme psychanalytique de Jackson Pollock, José Parlá réalise un travail sur la mémoire sur fond chorégraphique.
Artiste pluriel, il utilise son talent pour la photographie pour affiner sa perception du monde et de son art.
« Quand je pense à ma manière de peindre je pense à comment je l’aurais capturé en photo. »
« Parfois mes peintures ont vraiment l’air de murs donc ce n’est plus de l’abstraction mais vraiment du réalisme. »
En préparant ses oeuvres comme un mur défraichi, l‘artiste fait un travail de mémoire, où couche après couche les souvenirs s’entassent.
« J’ai commencé à réfléchir à comment peindre […] pour que mes peintures aient la pertinence du passage du temps. »
Il cherche à raconter des histoires, celles que les writers se relatent entre eux, qui forgent leur caractère et leur personnalité.
« L’approche de ma peinture est d’aller vers l’idéal des palimpsestes. »
Le palimpseste est un manuscrit sur parchemin d’auteurs anciens que les copistes du Moyen Âge ont effacé pour le recouvrir d’un second texte (définition du CNRS). Les oeuvres du peintre sont ainsi faites, de strate en strate, il grave puis détruit. Il peint à la main ou directement au pinceau, triture la matière, la caresse et la mélange.
« Et là on arrive à une germination de couches. »
On retrouve son passé de break dancer dans le vertigineux dynamisme de ses lignes, comme chorégraphiées au rythme d’un Bboy. Des up and down incessants, les allés-retour se succèdent, tout en rondeur et volupté.
La couleur fait aussi partie intégrante de l’émotion que suscite ses oeuvres. Déchirantes et éclatantes, elles pourraient illustrer à elles seules l’histoire que la texture des toiles raconte. Ce jeu rétinien entre mélange et juxtaposition captive les pupilles.
Loin d’être un art léger, à l’abstraction lunaire, les oeuvres de José Parlá s’intègrent pleinement dans une histoire culturelle artistique et humaine où se combinent architecture, langage urbain et quête d’identité.
Wrinkles of the City : Havana. JR et José Parlá, une collaboration en hommage à Cuba
Le projet Wrinkles of the City: Havana a donné vie à divers oeuvres murales, un livre et un court documentaire. A l’origine JR et José Parlá se sont réunis pour réaliser des oeuvres composées des portraits de JR et ornementées des calligraphies de Parlá. 25 séniors ayant vécu la révolution cubaine sont ainsi devenus les icônes de leur histoire.
« C’est un hommage aux gens qui ont été témoin de changements massifs dans leur vie. »
Le mélange des photos ultra expressives de JR et des calligraphies palimpsestes de Parlá font de ce projet un mémorial poignant de l’histoire de Cuba.
« Je n’avais jamais eu l’occasion de faire une collaboration qui fasse à ce point sens. »
L’intégralité du documentaire Wrinkles of the City: Havana est disponible sur Youtube.
José Parlá, Fragments:
Les citations sont tirées de l’entretient d’Hugo Vitrani avec José Parlá pour Mediapart.
– Doriane Coelho –
Catégorie(s) : Street Art / Art Urbain