Qui de l’homme ou de l’animal est le plus terrifiant ? Voilà la question que soulevait Eric Lacan en 2014 avec son exposition All Monsters Are Human à la Galerie Openspace. Avec sa nouvelle exposition, Beautiful Decay, Eric explore une autre facette de la condition humaine. Il réconcilie ici la fatalité d’une fin et l’espoir d’un re-nouveau. Beautés et vanités se livrent alors à une fascinante danse du déclin.
Eric Lacan est un corbeau de nuit, il se montre peu mais éblouit lorsqu’il sort de sa taverne. Après trois ans d’absence, il revient avec les thématiques qui lui sont chères et avec une technique du détail poussée à son paroxysme.
La volupté du naturalisme
La finesse de ses représentations s’apparente à celle de la dentelle d’antan. Les carnations subtilement arrondies précisent les visages autant qu’elles étourdissent les esprits. Ossements et sanctuaire animal sont ponctués d’éléments floraux d’un naturalisme des plus prononcés.
C’est un travail tant anatomique que végétale que nous offre une fois encore Eric Lacan. Jusqu’où ira t-il dans la précision ? Strip Art a tenté de percer ce mystère à travers quelques questions…
STRIP ART : Une nouvelle exposition trois ans après la dernière, l’hibernation artistique fait-elle partie de ton processus de création ?
ERIC LACAN : Ça fait partie de mon processus de vie ! (Rire). C’est vraiment ma façon de vivre, je suis plutôt solitaire et la solitude au travail c’est primordial pour moi. On ne se distrait pas, on se concentre sur une tâche.
« Pendant ces trois ans j’ai travaillé avec la rigueur d’un sportif de haut niveau. »
La dernière année, j’ai essayé d’être une sorte de patron abominable pour moi-même. Et j’ai redécouvert le plaisir de travailler en atelier. S’isoler était à la fois une contrainte et une excitation.
Hymne à la vie
STRIP ART : Beautiful Decay, pourquoi ce titre ?
ERIC LACAN : «Decay» c’est le pourrissement, c’est aussi la rage de dent, ou encore le déclin ; plein de choses comme ça qui pour moi évoquent la notion de cycle. Le déclin, au bout d’un moment, est un mouvement. On ne peut pas décliner de manière infini. Tout est un recommencement.
J’ai tendance à voir les choses de manière linéaire. Je n’ai pas de but dans la vie ou d’objectif fixe. Quand on a un objectif, une fois qu’il est atteint il n’y a plus rien après. Il n’y a plus d’aventure, il n’y a plus d’histoire. Donc je préfère voir les choses de manière cyclique et continue.
Beautiful Decay c’est aussi ce goût pour le temps qui passe et pour les beautés qui sont à deux moments extrêmes de leur vie : au sommet de leur beauté et à la porte de leur mort. C’est ça le déclin. C’est important d’y penser, sans que ce soit obsessionnel. C’est une manière de se dire que le temps passe très vite et qu’il faut en profiter. C’est presque philosophique.
« Mettre l’accent sur le déclin c’est jouir de tout ce qui n’est pas le déclin, pour résumer en deux mots. »
STRIP ART : La mort est très présente dans tes compositions, une fascination ?
ERIC LACAN : La mort est présente de manière formelle mais en réalité c’est la vie qui est présente. Je n’ai absolument pas de fascination pour la mort. Toutes mes peintures sont faites avec beaucoup de nervosité. Visuellement c’est très agité, contrasté, vifs. Ma peinture est ultra vivante. D’ailleurs quand je peins, je peins debout et avec beaucoup d’énergie.
« Pour moi les crânes ne représentent pas la mort mais la présence la plus inoffensive de l’homme. »
C’est la trace la plus objective de l’homme. Je crée des images fortes donc j’utilise des codes fort, tel un publicitaire qui travaille son image pour qu’elle soit attractive.
Il n’y a pas de fascination envers la mort mais une interrogation envers le temps qui passe et envers les choses essentielles et les choses superficielles. D’ailleurs dans mes compositions il y a souvent des choses matériellement dures et pérennes, comme les os, qui mettent du temps à se désagréger, au contact de choses qui se fanent très vite, comme les fleurs.
« Il y a beaucoup de contradictions, d’ambivalence : le propre de l’homme. »
Symboles et subconscient
STRIP ART : Quel lien fais-tu entre tes représentations féminines, ton sanctuaire d’animaux, les vanités et les végétaux ; ces éléments que l’on retrouve dans la plupart de tes compositions ?
ERIC LACAN : Quand je travaille je ne théorise pas sur mon travail. Je ne suis pas à la recherche d’un lien, je sors ce qui me passe par la tête.
« Le seul lien c’est moi, c’est mon ça, comme on dit en psycho. »
Je ferais juste une petite parenthèse sur les animaux parce que j’ai encore du mal à me faire comprendre là-dessus. Mon goût pour les animaux impopulaires est provoqué par l’envie de donner une valeur esthétique et spectaculaire à des animaux qui suscitent la peur.
L’idée est de ne pas s’arrêter à la mauvaise image de l’animal. Les titres sont aussi là pour casser le côté premier degré des représentations.
C’est une ode à l’esprit critique_qui est d’ailleurs valable pour l’actualité_ afin de ne pas s’arrêter à l’apparence.
« Je trouve rigolo d’ultra-esthétiser l’animal, de créer une sorte de culte visuel pour en dessiner d’autres contours. »
STRIP ART : Au cours de tes expositions, tes séries de portraits semblent évoluer vers des périodes de plus en plus passées. Le temps est-il un fil conducteur ?
ERIC LACAN : Non ce n’est pas une volonté. Je suis fasciné par les formes que peuvent prendre tous types de portraits du XIXème et XXème siècle. Seules la thématique et la technique ont changé entre mes expositions. Mais depuis le début j’ai toujours les yeux rivés vers le passé.
« Le présent ne m’intéresse pas et le futur encore moins, parce que je n’y serai pas. »
L’art du défi
STRIP ART : Jusqu’où vas-tu aller dans ta technique du détail ? Y vois-tu une fin ?
ERIC LACAN : La technique n’est pas super importante en fait, ce n’est que la forme. Si ça se trouve quand je maîtriserais la technique j’en aurais marre et je serais peut-être plus libre de faire des choses moins détaillées.
« Mon but n’est pas d’aller dans le détail mais dans l’expressivité, dans la force visuelle. »
Je n’ai pas d’objectif, encore moins technique.
STRIP ART : Penses-tu déjà à ta prochaine exposition et à d’autres exercices sur lesquels tu voudrais te pencher ?
ERIC LACAN : Pas du tout ! Tu veux qu’on se fâche ? (Rire). Si, j’ai des envies, mais je ne veux pas y penser de manière trop précipité. Par exemple pour les papiers découpés j’ai envie de les présenter, non plus entre deux plaques de verre, mais peut-être sous la forme d’un volume. A travailler…
L’alter égo
STRIP ART : Et comment va Monsieur Qui (pseudonyme de l’artiste dans son travail de rue. Ndlr) ?
ERIC LACAN : Euh c’est une grande question !
« On est trois en fait : il y’a Eric Lacan, le peintre en galerie, Monsieur Qui et moi-même. »
C’est une façon de mettre une distance entre soi et le travail.
« Depuis un an Monsieur Qui s’est recroquevillé tout au fond de mon corps. »
Il tape du pied en fait, il a envie de sortir faire des collages, s’exciter dans la rue et voir des gens. C’est ça mon envie immédiate. Donc il va bien. »
Soyez vigilant on risque de retrouver Monsieur Qui dans les rues de Paris très prochainement ! En attendant, courrez vous délecter devant la quarantaine de toiles d’Eric Lacan (le peintre en galerie), présentes à la Galerie Openspace jusqu’au 7 octobre.
Crédits photographiques : Doriane Coelho // Strip Art
Eric Lacan par illartLife :
Beautiful Decay / Solo Show d’Eric Lacan
Jusqu’au 7 octobre
116 Boulevard Richard Lenoir, 75011 Paris
– Doriane Coelho –
Catégorie(s) : Street Art / Art Urbain