Mode 2, la légende du graffiti expose à la galerie Openspace

4 janvier, 2017

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Bien qu’il n’aime pas son statut, Mode 2 n’en demeure pas moins une légende du graffiti. Il est en effet l’un des premiers et principaux acteurs de cette street culture naissante, qui apparait en Europe dans les années 80. L’excellence de son style inspire toujours aujourd’hui le respect de ses paires.

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Mode2 sur le quai Anatole France, Paris, Juillet 1985 ©Louise Hill

Né en 1967 à l’Île Maurice, l’artiste quitte les tropiques en 1976 pour Londres. En 1984 Mode 2 commence à trainer à Covent Garden, berceau de la culture hip-hop britannique, où il débute en tant que graffeur. Au départ spectateur de cette effervescence artistique nouvelle et underground, il se fait rapidement un nom et sera cofondateur du célèbre crew The Chrome Angelz (TCA). 

En 1985 il se rend pour la première fois à Paris pour peindre avec l’artiste Bando, rencontré à Londres quelques mois auparavant. Intégrant chacun le crew de l’autre, ils formeront par la suite un illustre duo. Stalingrad devient alors leur playground favori, et ils y poseront, à côté d’autres crews comme les BBC, les fondements du graffiti européen. Le tournant de sa carrière a une date : 1987. C’est cette année là qu’il fait la couverture de Spraycan Art, qui exportera son art à l’échelle mondiale.

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Pride, Danny, Eskimo, Scribla, The Chrome Angelz, Covent Garden, 1985 ©Mode2

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Il expose aujourd’hui dans de nombreuses galeries et musées. Il est notamment représenté par la galerie Lazarides à Londres, et la galerie Patricia Armocida à Milan..

Toujours à même de nous étonner et de nous éblouir d’avantage, Mode 2 n’a de cesse de placer la sensualité au coeur de son art. Il revient aujourd’hui à Paris pour une exposition à la galerie Openspace. Ce fut l’occasion pour la rédaction de Stripart de rencontrer cette légende du graffiti.

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Exposition « Reality, Fantasy and the Web », à la galerie Lazarides, Newcastle, 2009 ©Ian Cox

Mode 2 dans son atelier travaillant sur la toile It’s Gonna Be A Good One, pour l’exposition “Préludes...” à la Galerie Openspace, 2016 (pastel, acrylique et aérosol sur toile, 140 x 240 cm) - ©www.mode2.org

Mode 2 travaillant sur la toile It’s Gonna Be A Good One, pour l’exposition “Préludes…”, 2016 ©www.mode2.org

Entretient avec Mode 2

STRIPART : Dans les 80’s le graffiti et le hiphop étaient encore underground. Que regrettez-vous le plus de cette période ?

MODE 2 : Jusqu’à l’arrivée des fanzines Européens, il était possible de regarder une photo d’un graffiti quelconque, et se dire que ça venait de telle ou telle ville de son pays, sinon d’une autre ville en Europe. Le style se transmettait des différents maîtres du genre à leurs crews, et ces styles de crews inspiraient et influençaient les villes où ils opéraient.

Dans la grande tradition de New York, il était mal vu de pomper du style, donc chacun poussait vers l’originalité et la hiérarchie de « qui aurait inventé quoi en premier » était respectée. Cette structure donnait un sens de méritocratie à la culture ; difficile d’arriver vite fait et de nulle part sans avoir cartonner en style et en quantité de non-autorisés.

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Sharp, Mode 2 et Sender, Indelebile, Rimini, Italie, 1994 ©Mode2

Avec l’arrivée des fanzines, le système de « Envoyez-nous vos photos » ainsi que les double-pages d’un mélange de torchons et de serpillières niveau photos, nous avions commencé à voir s’évaporer cet ordre qui gérait l’équilibre.

Cet ordre renforçait l’idée qu’une culture n’en est une que si elle garde un pied ferme dans ses racines, connaît son histoire, et reconnaît sa dette envers ses pionniers ; de la même manière que ceux de ma génération ressentent toujours la dette que nous devons aux writers de New York, grâce auxquels nous avions eu la chance de faire ce que nous faisons ; profitant beaucoup plus qu’eux des bénéfices qui en résultent toujours.

Les fanzines qui en valaient la peine se comptent sur le bout des doigts ; Underground Productions (Suède), Fat Cap (Norvège), Bomber (Pays-Bas), ou sinon Overkill et Backjumps (Berlin). Il y avaient des vrais interviews qui poussaient un peu plus loin, et un choix plus critique au niveau des photos. J’ai balancé le reste en déménageant de Paris à Londres en 2004.

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Sion, Suisse, 2012©Mode2

STRIPART : Comment vivez-vous votre passage de la rue à la galerie ?

MODE 2 : J’avoue m’être un peu retiré de la peinture en extérieur ; le premier facteur étant pour des raisons de santé en ’97, puis à cause de la vie de famille, ce qui limite aussi radicalement les sorties en soirées.

Mon corps avait atteint son seuil de tolérance par rapport à la nocivité des bombes de peintures l’été de ’97, à New York, où je remarquait les démangeaisons cutanées, ou sinon les sinus qui coulaient de la morve pendant trois jours après chaque action ; même avec masque et gants de protection. J’ai toujours aimé dessiner, et je voudrais continuer mon chemin, car je ne suis jamais vraiment content de ce que je produis ; donc autant vivre plus longtemps pour continuer à faire évoluer son langage visuel.

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That pledge of devotion, Weseburg museum, Bremen, 2009 ©www.mode2.org

En ce qui concerne les galeries, ça ne m’intéressait pas plus que ça à l’époque, même si nos premières expositions à Londres en ’85 nous donnaient l’illusion que ça allait être la grande vie, comme ces scènes de galeries à la fin du documentaire Style Wars.

Nous somme vite redescendus sur terre par la suite, et j’ai plus ou moins évité tout ce monde, surtout sur la scène Parisienne, jusqu’à ce que j’organise pour Emmanuel de Buretel l’exposition Voodoo Lounge, pendant la tournée des Rolling Stones en 1995. Cela m’avait permis de rassembler des artistes que je connaissais à l’époque (Sharp, Jon 156, A-One R.I.P, Jay et Echo OBF), puis Futura s’est joint à l’aventure pour la suite, Stripped, au QG d’Agnès B, Rue Dieu, en Novembre 1995.

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Fresque à l’occasion de l’exposition « Du Bronx aux rues arabes », Institut du monde arabe, Paris, 2015 ©Mode2

Jusque là, je ne souhaitais pas me mélanger avec tout ceux qui se la racontaient sur Paris, utilisant la présence et l’influence des trois venus de New York pour faire avancer leurs petits mondes personnels. Depuis la grande vague des ventes aux enchères, cette situation s’est exacerbée.

Les maisons qui organisent commettent les mêmes erreurs que les fanzines avant elles, cherchant consciemment à mélanger torchons et serpillières pour pouvoir profiter de l’ignorance du public, et vendre aux acheteurs néophytes des pièces par des artistes qui ont peu d’originalité ou de talent tout court. Ceux qui tapent avec le marteau utilisent la notoriété et la réputation des « grands » pour faire passer tout et n’importe quoi, car il faut toujours avoir un minimum de pièces pour pouvoir organiser une vente.

Tout s’écroulera un jour, et nous allons tous perdre des plumes, mais nous verrons aussi qui en auront assez pour pouvoir se remettre à voler dans les airs…

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Exposition « Reality, Fantasy and the Web », à la galerie Lazarides, Newcastle, 2009 ©Ian Cox

STRIPART : Avez-vous gardé contact avec vos crew de l’époque ? 

MODE 2 : Je reste en contact avec mes vrais amis de l’époque, mais avec les déménagements, les choix à faire niveau progression dans ce que nous faisons, ainsi que le temps accordé au travail pour pouvoir nourrir sa famille, nous perdons peu à peu le contact avec certains.

C’est inévitable si nous considérons la trentaine d’années qui se sont écoulées depuis. C’est incroyable de penser que je connais Bando depuis le printemps ’85, ou les membres Londoniens des TCA depuis l’été ’84. Nous avons rencontré Shoe sur les quais de la Seine, avec Jan et Jaz en Juillet ’85, et nous restons toujours en contact.

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Mode2 et Bando, Paris ©Graffiti Joiners

Par contre il va falloir que je vérifie mon carnet d’adresse e-mail, car je pensais voir quelques uns des 93MC à mon vernissage, mais comme c’était le stress dans la dernière semaine précédente, je n’ai pas pu en appeler directement.

Il y a aussi bien sûr des anciens amis avec lesquels je n’ai plus aucune affinité, car nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas les mêmes intérêts, priorités ou principes dans la vie. Les choses peuvent changer entre l’âge de 19 et de 30 ans. Parfois les visions du monde, de la culture, ou sinon les idéaux-mêmes, ne sont pas compatibles.

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Mode2, Bando, Niels Shoe Meulman, Angel et Boris Delta Tellegen, Amsterdam, 2014 ©www.mode2.org

STRIPART : Vous dessinez beaucoup de femmes, de formes rondes, avec une palette chaleureuse, d’où vous vient cette inspiration et cette envie ?

MODE 2 : Les images de la « femme idéale » qui nous sont renvoyées dans les médias me semble toujours très limitées dans l’éventail des différents degrés de corpulence. Personnellement, j’ai eu peu de compagnes dans ma vie, et ça a toujours été plutôt ce qui se passait dans leurs têtes qui complétait l’attirance, et non le corps uniquement.

Une fille d’une grande beauté apparente (cliché ou non) peut « s’enlaidir », suivant les mots qui sortent de sa bouche, tout comme son attitude et ainsi de suite. De la même manière, une fille atypique, voir d’une allure banale serait plus belle à mes yeux, à partir du moment où elle est consciente de son physique, sait comment le porter d’une manière optimale, et se rendrait compte que de toute manière, il n’y a pas que le physique qui compte.

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Digital Bleds, « Esperando Chuva » et « Batuquente », EP covers, 2000 ©www.mode2.org

À l’école, les filles que moi je trouvais attirantes, les autres garçons trouvaient le contraire ; mais j’aime bien dessiner ces rondeurs, ces courbes, ces ampleurs qui seraient plus proches de la norme moyenne que les formes beaucoup plus minces que nous voyons quand les médias parlent de beauté. Ceci dit, cela n’a pas vraiment joué au final sur mes choix personnels, car justement c’est ce qu’il y a dans la tête qui compte plus que tout.

Blowback magazine, 2004 ©www.mode2.org

Blowback magazine, 2004 ©www.mode2.org

STRIPART : Quels sont vos thèmes de prédilections ?

MODE 2 : Je n’aime pas particulièrement comment le mot « Hip-Hop » devient un handicap, en ce qui concernerait une partie de mon travail. C’est un terme galvaudé et réducteur qui a du mal à refléter l’ampleur de son influence sur la scène culturelle mondiale ; et je ne mâche pas mes mots. C’est Michael Holman (manager des New York City Breakers et présentateur de l’émission Graffiti Rock) qui avait utilisé ce terme dans une interview avec un journaliste pour donner un nom au mélange de formes d’expression qui faisaient à l’époque parties égales de cette culture.

Pour moi donc, le tag, la musique, la danse, et la poésie sont des disciplines interdépendantes qui s’inspirent les unes des autres. Elles ont à chacune redéfinit les règles et les limites de la culture en général, et surtout elle s’épanouissaient toutes dans une atmosphère anti-institutionnelle et non-académique ; accessible à tous, et non besoin d’un gros budget ; sauf les djs au tout début.

Rude Movements Pink, 2004 ©www.mode2.org

Rude Movements Pink, 2004 ©www.mode2.org

Pour moi, il y a un lien du rythme qui relie ces disciplines ensemble, formant un langage et un pont entre différentes formes d’expression que j’aurais beaucoup de mal à trouver ailleurs de nos jours. C’est ce qui me donne à croire que cette culture est la seule pour moi qui vaudrait la peine de suivre, parce que, loin des clichés « Hip-Hop » projetés par les médias comme par beaucoup de ceux qui utilisent cette culture comme un accessoire à l’image qu’ils aiment bien donné d’eux-mêmes, il reste une formule quasi-mathématique et évolutive qui pourrait être le moteur interne au principe de l’expression culturelle en elle-même.

Elle peut s’épanouir d’une manière autonome, mais ne crache pas non-plus sur tout ce qui existe ; mais c’est surtout son accessibilité à TOUS qui la rend « révolutionnaire » en quelque sorte. Il suffirait de s’y laisser glisser, d’en pratiquer une, et de garder l’esprit ouvert…

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Battle of the year, 2009 ©www.mode2.org

Parallèlement à ce thème central donc, et peut-être lié à ce travail, je m’intéresse aussi à des thèmes politico-culturels, ou sinon autour de l’environnement ; ce qui me mènerait en quelque sorte vers le thème de l’érotisme, ou peut-être une forme d’adoration du corps féminin.

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Reading in the garden, 2008 ©www.mode2.org

Étant donnée que l’expression culturelle est en quelque sorte un combat politique, elle nous met en opposition par rapport à l’ordre établi. Si un pouvoir quelconque voudrait rendre un peuple esclave, il serait obligé de leur interdire toute expression culturelle.

C’est à travers celles-ci qu’un peuple arrive à s’éduquer, à célébrer et perpétuer son identité, ses rites, ses traditions et ses coutumes ; et c’est surtout à travers ces pratiques qu’un peuple pourrait construire des ponts d’échanges avec un autre, les deux bénéficiant mutuellement si ils arrivent aussi à garder un pied ferme dans leurs propres racines.

Ceux sont en faite des principes quasi-universels qui sembleraient très abstraits, expliqués de cette manière, mais ils forment une partie importante de ma manière de voir, d’anticiper et d’absorber les choses.

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Straps, 2007 ©www.mode2.org

En ce qui concernerait l’érotisme, l’intérêt que je porte envers le corps féminin a été plus ou moins expliqué dans la réponse à la question précédente, sauf qu’il faudrait rajouter la manière dont le sexe est omniprésent dans les médias, dans la pub comme dans les clips ; mais le sexe lui-même reste cantonné sous certaines catégories de littérature, sinon dans la pornographie et les revues associées. Entre-temps, les jeunes d’aujourd’hui peuvent y accéder à travers leurs smartphones en évitant toute forme de contrôle ou de contexte par rapport à la réalité qui existe en dehors du monde de la pornographie.

Le sexe et l’érotisme sont aussi le terrain où la lutte de pouvoir entre les deux sexes, ou plutôt les inégalités, sont bien mises en avant ; les lignes rouges entre jeux et abus rendues floues, car chacun tire le genre dans tous les sens, pour satisfaire la demande par rapport à des pratiques ou des fétichismes quelconques.

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Publicité pour Heineken, 2005 ©www.mode2.org

Pour moi ça serait plutôt comment trouver un équilibre entre homme et femme qui m’intéresse, comment exprimer la sensualité ou la sexualité, sans pour autant tomber dans le sexisme et l’objectification sexuelle de la femme. Je ne sais pas si dans quelques années je regarderai en arrière et je me trouverai coupable, car c’est un terrain de recherches où il n’est pas si évident de s’orienter.

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Stolen Kisses, 2004 ©www.mode2.org

STRIPART : Votre famille a t-elle eu une quelconque influence dans votre désir de peindre ?

MODE 2 : Je commençais à sécher les cours en 1985 pour venir peindre à Paris, mais comme j’avais des bonnes notes à l’école, il était difficile de m’empêcher de poursuivre ma passion. Ma famille m’a toujours soutenu dans ce que je fait, à partir du moment où elle s’est rendu compte que ceci m’ouvrirait des portes qu’une carrière normale lambda ne pourrait pas; et surtout j’avais la possibilité d’éventuellement vivre de ce que j’aime faire ; même si mes principes m’empêcheraient de travailler avec certains clients, ou de me compromettre en quelque sorte.

C’est un poste de graphiste chez BSCA (Buffin Seydoux Computer Animation) qui m’avait fait venir m’installer à Paris au printemps de ’87, donc là aussi il y avait une raison valable de tenter ma chance, même si au final la lenteur de calcul des ordinateurs à l’époque m’avait vite fait déchanter…

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Performance live, Indelebile, Rimini, Italie, 1994 ©www.mode2.org

STRIPART : Quelle place ont la danse et la musique dans votre vie ?

MODE 2 : Il y a toujours eu de la musique à la maison, chez mes parents. Venant de l’Île Maurice, à part le Séga, il y avait un peu de tout chez nous, car mes parents écoutaient un peu de tout.

Arrivé à Londres l’été de 76, j’ai découvert le dub, le punk, mais aussi la radio en général, donc j’ai une culture pop assez large et diverse aussi. J’écoutais la salsa ou de la vieille soul, ou des sons latino-jazz à la radio, mais je n’achetais pas beaucoup de disques, donc je ne pourrais pas dire les noms des morceaux ou des artistes. Mon premier disque offert était l’album de The Stranglers No More Heroes, et mon premier disque acheté était Public Image de Public Image Limited.

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Daft Punk VS Slum Village, 2001 ©www.mode2.org

Ceci dit, quelque part au fond de moi, les rythmes de mon enfance, ainsi que l’irrésistibilité des musiques d’origine Africaine en général m’ont toujours été d’une grande source d’inspiration et d’influence; rythmant littéralement une bonne partie de mon travail.

Logiquement donc, la danse aussi joue un grand rôle dans ce que je fais, la raison pour laquelle je soutiens la Battle Of The Year, ou sinon j’ai fait des flyers et autres visuels pour les soirées THIS! où jouait Gilles Peterson à Londres, le label Blue de Ross Allen, ou sinon pour Goldie à la sortie de Saturnz Return.

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Battle of the year, 2013 ©www.mode2.org

STRIPART : Si vous deviez ne retenir qu’un évènement marquant de votre carrière lequel serait-il ?

MODE 2 : Cette couverture de Spraycan Art que je ne voulais pas, mais qui m’a quand même permis d’être écouté quand j’avais quelque-chose à dire. Ceci dit, se rendre compte d’une nouvelle définition de ce qu’est la responsabilité en devenant père d’un enfant remet tout ceci dans un autre contexte.

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Powerplay, Sergeant Paper, Paris, 2011©www.mode2.org

STRIPART : Comment vivez-vous ce statut de «légende du graff» ?

MODE 2 : Je n’aime pas ce statut, car il met des barrières entre des personnes tout aussi normales que moi, et moi-même. Tout ce qu’on pourrait dire est parfois perçu à travers un filtre de mythologie et de ragots, donc la personne en face cherche plus à confirmer ce qu’elle a déjà dans la tête, que de vraiment écouter ce que j’aurais à dire, de mon avis sur des thèmes sortant largement du domaine dans lequel je serais une soit-disant « légende ».

Ça prendra un effort collectif pour changer la merde dans laquelle nous nous trouvons, donc mettre quelqu’un sur un piédestal quelconque ne sert à rien.

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Horizons, Lazarides Gallery, 2008 ©www.mode2.org

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Battle of the year, 2010 ©www.mode2.org

STRIPART : Aujourd’hui vos références ont-elles changé avec l’évolution du mouvement et l’émergence d’une multitude de styles et d’artistes ?

MODE 2Je reste en admiration devant tous ces pionniers qui me précèdent, mais j’avoue aussi ne pas trop regarder ce qui se passe au niveau des grandes fresques qui se font de nos jours; trop éloignées des principes du départ, remettant le figuratif en avant pour la plupart, et devenant en quelque sorte de la « décoration urbaine ».

Je préfère les tags et les throw-ups que nous voyons dans la rue ou sur les voies de transports en commun; des enregistrements de certains gestes rythmés que je capte comme des pas de danse ou une séquence de musique.

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Londres

J’aime bien tout ce qui s’est mis en branle grâce au travail de Shoe avec le Calligraffiti, obligeant beaucoup de taggers à revoir leur attitude envers le style. J’attends de voir si Banksy arriverait toujours à nous surprendre, et je reste très sensible aux visions de notre monde d’inégalités exprimées par Blu. Comme à New York à l’époque, nous avons les « stylemasters » et le reste. Les prouesses techniques restent ce qu’elles sont, mais je cherche quelque-chose qui me donne un peu plus que de l’ambiance un peu « paillettes »…

Je poursuis mon propre chemin, donc j’essaye en quelque sorte de ne pas « polluer » mon subconscient avec les images des autres, histoire de pouvoir préserver une certaine originalité dans l’aspect purement visuel de ce que je fait. Mon inspiration vient donc d’autres domaines comme la musique ou la danse, ou sinon d’autres artistes datant d’avant toute cette folie des « arts urbains ».

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Gasp, Shoe, Mode2, Delta, Amsterdam, Hollande, 1993 ©Maxresdefault

« Préludes… »

L’exposition Préludes… à la galerie Openspace jusqu’au 28 janvier porte sur l’expression du mouvement et de la musicalité du corps humain. Sa défense de la culture hip-hop dans son sens le plus pur le pousse sans cesse à revisiter cette notion d’ubiquité du mouvement, qu’il soit dans la danse, le graffiti ou la musique.

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Samantha Longhi, directrice de la galerie Openspace, devant l’œuvre « Fight? »

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It’s Gonna Be A Good One, Pastel et acrylique sur toile en coton, 140 x 240 cm, 2016

«Personnellement, c’est le rythme et le mouvement qui m’ont toujours fasciné, qu’il soit celui du corps humain à travers la danse, la musique ou le tag. Les lettrages me rappellent la part instrumentale d’un morceau de musique et, lorsque je regarde un tag, je peux re-construire, selon sa taille, le geste du poignet, la rotation du coude, de l’épaule, ou même le déplacement du corps entier qu’il a nécessité. Tout ce langage corporel est enregistré dans le tracé, et c’est son articulation qui forge le lien entre la musique, la danse et le visuel à la genèse du hip-hop.»

Extrait de l’entretien avec Karen Brunel-Lafargue dans L’Art se rue 3, éditions H’artpon, 2016.

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Syncopated Symbiosis, Pastel, acrylique et aérosol sur toile en lin, 180 x 160 cm, 2016

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Ces toutes premières notes, Pastel, acrylique et aérosol sur toile en lin, 140 x 100 cm, 2016

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Fight? ,Pastel et modeling paste sur toile en coton, 100 x 140 cm, 2016

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It’s Gonna Be A Good One, Pastel et acrylique sur toile en coton, 140 x 240 cm, 2016

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Sur les quais, Pastel et modeling paste sur toile en coton, 100 x 140 cm, 2016

La sensualité fait donc partie intégrante de l’exposition, qu’il pousse même à son apogée, en montrant pour la première fois en France son travail sur l’érotisme. Une salle un peu recluse du reste de l’exposition prévient ainsi ses visiteurs du caractère potentiellement offensant pour le jeune public de ces oeuvres.

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Au jardin du Père Lachaise

Au jardin du Père Lachaise, Pastel et acrylique sur toile en coton, 140 x 120 cm, 2016

Le Banc dans le parc

Le Banc dans le parc, Pastel et acrylique sur toile en coton, 140 x 120 cm, 2016

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Au sein de… Pastel et acrylique sur toile en coton, 120 x 80 cm, 2016

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Le Nombril du monde, Pastel et acrylique sur toile en coton, 120 x 80 cm, 2016 (à gauche) // À la recherche de la forêt perdue, Mines Koh-I-Noor Gioconda 6 5,6mm Sepia, pastel et liant acrylique mat sur lin, 120 x 80 cm, 2016 (à droite)

Au même titre que les Préludes de Debussy, encourageant la liberté et l’initiation au voyage, ou les Préludes de Chopin, brefs et furtifs, sorte d’instantanés musicaux où règne le demi-mot, Préludes… de Mode 2 nous ramène dans l’antre d’un sentiment d’introduction connu de tous, où les premiers mots d’un livre nous amènent à le dévorer, les prémisses d’un style nous poussent à le développer, les premiers pas d’un danseurs sur scène lui provoquent un stress euphorisant, ou les premières lueurs de l’amour font battre la chamade nos coeurs au premier touché.

En quelques mesures, quelques traits, tout est dit, nul besoin d’élucubration scénique scabreuse ni de fioriture dans la palette. La monochromie est maitresse autant que l’esquisse est reine. Le dynamisme est là, sans effort.

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Retour, Pastel et acrylique sur toile en coton, 120 x 80 cm, 2016

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Détail de « A Frame », Pastel et acrylique sur papier coton Arches Aquarelle 640 g, format encadré 90 x 70 cm, 2015

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Nom, Pastel et acrylique sur toile en coton, 100 x 140 cm, 2016

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B-Girl Stance, Pastel et acrylique sur papier coton Arches Aquarelle 640 g, format encadré 90 x 70 cm, 2015

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Hold’em High, Pastel, acrylique et aérosol sur toile en lin, 140 x 100 cm, 2016

Le pionnier qu’est Mode 2, n’a plus rien a prouvé. Il revient à des fondamentaux pour conscientiser ses spectateurs de l’universalité de la peinture et du mouvement. Personne n’est maître ou novice, tout s’observe et se délecte, tant dans sa maitrise que dans ses premiers pas.

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All Or Nothing, Pastel et acrylique sur toile en lin, 130 x 95 cm, 2015

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They Used To Do It In The Clubs, Pastel, acrylique et aérosol sur toile en coton, 140 x 190 cm, 2016

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Crédit photo du vernissage de l’exposition : Doriane Coelho / Stripart
Crédit photo des oeuvres : Galerie Openspace

Vidéos :

Style Wars (1983) 
Considéré comme l’une des bibles du graffiti, au même rang que l’ouvrage Subway Art, avec des images d’archives retraçant les débuts de Mode 2 (Ndlr)

Writers, 20 Ans de Graffiti à Paris

Informations

MODE 2 – Exposition ‘Préludes’
Du 26 novembre 2016 au 28 janvier 2017
À la GALERIE OPENSPACE – 116, boulevard Richard Lenoir, Paris 11e

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– Doriane Coelho –

4 janvier, 2017

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Catégorie(s) : Actu Art, Street Art / Art Urbain

3 réponses

  1. […] Motion Wankr Magazine Strip Art Blog and Princesse […]

  2. Slave 2.0 dit :

    Quel article ! tout est si précis et bien dit. Une leçon de rédaction ! J’aurais tout de même ajouter en lien l’excellent documentaire « Writers : 20 de graffiti à Paris » où l’on peut voir l’influence de Mode 2 dans la propagation du milieu et la manière dont les personnages on fait leurs apparitions dans les graffs du monde entier.

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